Les vétérinaires dans le viseur des investisseurs

Les cabinets vétérinaires français font face à une transformation majeure avec l’arrivée massive d’investisseurs financiers dans le secteur. Ce mouvement, amorcé il y a plusieurs années, s’intensifie : environ 950 établissements auraient été rachetés, sur un total d’environ 8 000, ce qui représente près de 20 % des vétérinaires en exercice. Ce phénomène concerne en priorité les cliniques pour animaux de compagnie, jugées plus rentables, mais les acteurs financiers commencent aussi à s’intéresser aux structures rurales, jusque-là peu convoitées.

Cette évolution modifie profondément le paysage vétérinaire. Les structures indépendantes sont progressivement absorbées par des groupes, parfois étrangers, qui appliquent des logiques industrielles et financières à l’organisation des soins. Ces rachats se traduisent souvent par une standardisation des pratiques, une pression sur la rentabilité, et une centralisation des décisions, au détriment de l’autonomie des praticiens.

Face à cela, une partie de la profession exprime une vive inquiétude. La pratique vétérinaire repose historiquement sur une éthique de proximité, d’indépendance et de responsabilité individuelle. Or, ces principes peuvent être mis à mal lorsque la gouvernance est transférée à des entités extérieures au monde vétérinaire. Le risque d’un conflit entre intérêt économique et qualité des soins est au cœur des préoccupations.

Sur le plan réglementaire, la législation encadre la détention du capital dans les sociétés vétérinaires, notamment pour garantir que les décisions restent sous le contrôle des professionnels de santé. Or, plusieurs centaines de cabinets sont suspectés de ne pas respecter ces règles, en contournant les dispositifs via des montages juridiques complexes. Une partie d’entre eux fait l’objet de procédures contentieuses. Cela pose la question du contrôle effectif des structures et de l’évolution du cadre juridique dans un marché en pleine mutation.

Derrière cette financiarisation, on retrouve des fonds d’investissement, mais aussi de grands groupes industriels, parfois issus du secteur agroalimentaire. Cette proximité alimente les craintes d’une perte d’indépendance scientifique et d’un brouillage des rôles entre soins, commerce et industrie. Pour certains vétérinaires, cette évolution pourrait aussi accentuer la désertification des zones rurales : les groupes priorisent les zones rentables, souvent urbaines, laissant de côté les territoires moins attractifs économiquement mais essentiels pour le maintien de la santé animale en milieu agricole.

Ce mouvement soulève donc des enjeux économiques, éthiques, sociaux et territoriaux. La profession vétérinaire est aujourd’hui à un tournant, entre ancrage local et logiques globales, entre indépendance et intégration financière.